La mort d'Emma

La mort d'Emma

giovedì 21 maggio 2015


Commentaire : quelles stratégies dans chaque film ? Quels 

choix pour chaque réalisateur ? Quel rapport avec le texte de 

départ ?





FLAUBERT



RENOIR


CHABROL
Claude Chabrol photo
Flaubert qui est entre deux feux (romantisme e realisme) nous fait voir une Emma  nue dans tout les sens.Madame Bovary donne l'expression de la vie elle-mème, à la fois dans sa complexitè et dans son dètail prècis.
Les personnages  sont la vèritè elle- mème et les entours sont peints d'ensemble, comme dans la realitè. Flaubert vit dans ses personnages  qu'il ne peut voir ne sentir.On assiste a un realisme parfait. Flaubert nous montre à travers le libre une mort agonisante, douloureuse et effreyante  prenont l'exemple  : « haleter », la « langue tout entière lui sortit hors de la bouche », des yeux qui « roulent », l' accélération de ses côtes, secouées par un souffle furieux », « la prunelle fixe, béante ». Le texte s'achève sur une « convulsion ». La violence de la description de Flaubert naît d'une vision réaliste, corporelle, symptômes de la mort approchant.
La mort gagne progressivement, entraînant une séparation des deux substances.On remarquera que l'instant de la mort n'est d'ailleurs pas indiqué. A la fin On voit qua quand Emma agonise  la chanson de l'aveugle constitue  une ironie tragique.
Cette chanson grivoise selon Flaubert  enlève de la dignité à la mort d'Emma.




































Selon Renoir Madame Bovary est une entreprise très etrange selon Renoir. Il a essayè de mettre ensemble les fond rèels e le jeu stylisè.Ils donne aux acteurs  un texte composè , un texte qui a un commencement et une fin, disont une fin pas comme les autres. Dans ce fille Renoir porte un rythme, mais pas naturel, il se base surtout sur le texte de Flaubert. Selon Renoir il fallait dire les mots usès par Flaubert, les dire avec de vrai personnages, un vrai paysage, un vrai ferme, de vrais accessoires  e de vrai animaux. Il tenait un realisme absolu.Son objectif etait une composition poussè du premier plan. Les acteurs jouent comme au theatre.Le film est extrenement coupè et il dure
trois heures de temps tenont compte que le film a ètè adaptè en 1934 ou beaucoup n'exsistait pas. Renoir nous montre une mort d'emma musical.Il ya une chanson parce qu'il est desolè de faire mourir Emma.Dans la mort d'emma les gestes d'elle sont toujours encadrès.

Au contraire de Renoir le film de Chabrol est plus ressent.Chabrol veux rester fidèle a Flaubert mème su les deux auteurs ne se ressemblent pas du tout.Chabrol met en spectacle madame Bovary rèpondant au dèsir de l'auteur de faire vivre Emma.Chabrol nous rend visible le lisible..Selon Chabrol la camèra devient la perception de tous ces foyers..Il ya beaucoup de plan ensemble.Chabrol n'est pas indiferent  è sa chère emma mème si il fait mourir de contre coeur.On assiste a une Emma contemporaine, mais il la corrige constamment pas le bais d'une camèra sarcastique.

Transposition du texte dans le film

Transposition du texte dans le film: étude 

de la scène du mort



Parties du texte prises en compte par Renoir, Chabrol 

Chapitre VIII, troisième partie

Elle se demandait tout en marchant : Que vais-
je dire ? Par où commencerai-je ? Et à mesure
qu’elle avançait, elle reconnaissait les buissons,
les arbres, les joncs marins sur la colline, le
château là-bas. Elle se retrouvait dans les
sensations de sa première tendresse, et son pauvre
cœur comprimé s’y dilatait amoureusement. Un
vent tiède lui soufflait au visage ; la neige, se
fondant, tombait goutte à goutte des bourgeons
sur l’herbe.
Elle entra, comme autrefois, par la petite porte
du parc, puis arriva à la cour d’honneur, que
bordait un double rang de tilleuls touffus. Ils
balançaient, en sifflant, leurs longues branches.
Les chiens au chenil aboyèrent tous, et l’éclat de
leurs voix retentissait sans qu’il parût personne.
Elle monta le large escalier droit, à balustres
de bois, qui conduisait au corridor pavé de dalles
630poudreuses où s’ouvraient plusieurs chambres à
la file, comme dans les monastères ou les
auberges. La sienne était au bout, tout au fond, à
gauche. Quand elle vint à poser les doigts sur la
serrure, ses forces subitement l’abandonnèrent.
Elle avait peur qu’il ne fût pas là, le souhaitait
presque, et c’était pourtant son seul espoir, la
dernière chance de salut. Elle se recueillit une
minute, et, retrempant son courage au sentiment
de la nécessité présente, elle entra.
Il était devant le feu, les deux pieds sur le
chambranle, en train de fumer une pipe.
– Tiens ! c’est vous ! dit-il en se levant
brusquement.
– Oui, c’est moi !... je voudrais, Rodolphe,
vous demander un conseil.
Et malgré tous ses efforts, il lui était
impossible de desserrer la bouche.
– Vous n’avez pas changé ; vous êtes toujours
charmante !
– Oh ! reprit-elle amèrement, ce sont de tristes
charmes, mon ami, puisque vous les avez
631dédaignés.
Alors il entama une explication de sa conduite,
s’excusant en termes vagues, faute de pouvoir
inventer mieux.
Elle se laissa prendre à ses paroles, plus
encore à sa voix et par le spectacle de sa
personne ; si bien qu’elle fit semblant de croire,
ou crut-elle peut-être, au prétexte de leur rupture.
C’était un secret d’où dépendaient l’honneur et
même la vie d’une troisième personne.
– N’importe ! fit-elle en le regardant
tristement, j’ai bien souffert !
Il répondit d’un ton philosophique :
– L’existence est ainsi !
– A-t-elle du moins, reprit Emma, été bonne
pour vous depuis notre séparation ?
– Oh ! ni bonne... ni mauvaise.
– Il aurait peut-être mieux valu ne jamais nous
quitter.
– Oui... peut-être !
– Tu crois ? dit-elle en se rapprochant. Et elle
632soupira. Ô Rodolphe ! si tu savais... je t’ai bien
aimé !
Ce fut alors qu’elle prit sa main, et ils restèrent
quelque temps les doigts entrelacés, – comme le
premier jour, aux Comices ! Par un reste
d’orgueil, il se débattait sous l’attendrissement.
Mais s’affaissant contre sa poitrine, elle lui dit :
– Comment voulais-tu que je vécusse sans
toi ? On ne peut pas se déshabituer du bonheur !
J’étais désespérée ! j’ai cru mourir ! Je te conterai
tout cela, tu verras. Et toi ? tu m’as fuie !...
Car, depuis trois ans, il l’avait soigneusement
évitée, par suite de cette lâcheté naturelle qui
caractérise le sexe fort ; et Emma continuait avec
des gestes mignons de tête, plus câline qu’une
chatte amoureuse :
– Tu en aimes d’autres, avoue-le. Oh ! je les
comprends, va ! je les excuse ; tu les auras
séduites, comme tu m’avais séduite. Tu es un
homme, toi ! tu as tout ce qu’il faut pour te faire
chérir. Mais nous recommencerons, n’est-ce pas ?
nous nous aimerons ! Tiens, je ris, je suis
heureuse ! Parle donc !
633Et elle était ravissante à voir, avec son regard
où tremblait une larme, comme l’eau d’un orage
dans un calice bleu.
Il l’attira sur ses genoux, et il caressait du
revers de la main ses bandeaux lisses, où, dans la
clarté du crépuscule, miroitait comme une flèche
d’or un dernier rayon du soleil. Elle penchait le
front ; il finit par la baiser sur les paupières, tout
doucement, du bout de ses lèvres.
– Mais tu as pleuré ! dit-il. Pourquoi ?
Elle éclata en sanglots. Rodolphe crut que
c’était l’explosion de son amour ; comme elle se
taisait, il prit ce silence pour une dernière pudeur,
et alors il s’écria :
– Ah ! pardonne-moi ! tu es la seule qui me
plaise. J’ai été imbécile et méchant ! Je t’aime, je
t’aimerai toujours. Qu’as-tu ? dis-le donc !
Il s’agenouillait.
– Eh bien !... je suis ruinée, Rodolphe ! Tu vas
me prêter trois mille francs !
– Mais... mais..., dit-il en se relevant peu à
peu, tandis que sa physionomie prenait une
634expression grave.
– Tu sais, continuait-elle vite, que mon mari
avait placé toute sa fortune chez un notaire ; il
s’est enfui. Nous avons emprunté ; les clients ne
payaient pas. Du reste la liquidation n’est pas
finie ; nous en aurons plus tard. Mais,
aujourd’hui, faute de trois mille francs, on va
nous saisir ; c’est à présent, à l’instant même ; et,
comptant sur ton amitié, je suis venue.
– Ah ! pensa Rodolphe, qui devint très pâle
tout à coup, c’est pour cela qu’elle est venue !
Enfin il dit d’un air calme : – Je ne les ai pas,
chère madame.
Il ne mentait point. Il les eût eus qu’il les
aurait donnés, sans doute, bien qu’il soit
généralement désagréable de faire de si belles
actions : une demande pécuniaire, de toutes les
bourrasques qui tombent sur l’amour, étant la
plus froide et la plus déracinante.
Elle resta d’abord quelques minutes à le
regarder.
– Tu ne les as pas ! Elle répéta plusieurs fois :
635Tu ne les as pas ! J’aurais dû m’épargner cette
dernière honte. Tu ne m’as jamais aimée ! tu ne
vaux pas mieux que les autres !
Elle se trahissait, elle se perdait.
Rodolphe l’interrompit, affirmant qu’il se
trouvait « gêné » lui-même.
– Ah ! je te plains ! dit Emma. Oui,
considérablement !... Et, arrêtant ses yeux sur une
carabine damasquinée qui brillait dans la
panoplie : – Mais, lorsqu’on est si pauvre, on ne
met pas d’argent à la crosse de son fusil ! on
n’achète pas une pendule avec des incrustations
d’écaille ! continuait-elle en montrant l’horloge
de Boule. Ni des sifflets de vermeil pour ses
fouets. – Elle les touchait ! – Ni des breloques
pour sa montre ! Oh ! rien ne lui manque !
jusqu’à un porte-liqueurs dans sa chambre ; car tu
t’aimes, tu vis bien, tu as un château, des fermes,
des bois ; tu chasses à courre, tu voyages à
Paris... Eh ! quand ce ne serait que cela, s’écria-t-
elle en prenant sur la cheminée ses boutons de
manchettes, – que la moindre de ces niaiseries !
on en peut faire de l’argent !... Oh ! je n’en veux
636pas ! garde-le. – Et elle lança bien loin les deux
boutons, dont la chaîne d’or se rompit en cognant
contre la muraille. – Mais, moi, je t’aurais tout
donné, j’aurais tout vendu, j’aurais travaillé de
mes mains, j’aurais mendié sur les routes, pour
un sourire, pour un regard, pour t’entendre dire
merci ! Et tu restes là tranquillement dans ton
fauteuil, comme si déjà tu ne m’avais pas fait
assez souffrir ? Sans toi, sais-tu bien, j’aurais pu
vivre heureuse ! Qui t’y forçait ? Était-ce une
gageure ? Tu m’aimais cependant, tu le disais...
Et tout à l’heure encore... Ah ! il eût mieux valu
me chasser ! J’ai les mains chaudes de tes baisers,
et voilà la place, sur le tapis, où tu jurais à mes
genoux une éternité d’amour. Tu m’y as fait
croire : tu m’as pendant deux ans, traînée dans le
rêve le plus magnifique et le plus suave !... Hein !
nos projets de voyage, tu te rappelles ? Oh ! ta
lettre, ta lettre ! elle m’a déchiré le cœur !... Et
puis, quand je reviens vers lui, vers lui, qui est
riche, heureux, libre ! pour implorer un secours
que le premier venu rendrait, suppliante et lui
rapportant toute ma tendresse, il me repousse,
parce que ça lui coûterait trois mille francs !
637– Je ne les ai pas ! répondit Rodolphe avec ce
calme parfait dont se recouvrent, comme d’un
bouclier, les colères résignées.
Elle sortit. Les murs tremblaient, le plafond
l’écrasait ; et elle repassa par la longue allée, en
trébuchant contre les tas de feuilles mortes que le
vent dispersait. Enfin elle arriva au saut-de-loup
devant la grille ; elle se cassa les ongles contre la
serrure, tant elle se dépêchait pour l’ouvrir. Puis,
cent pas plus loin, essoufflée, près de tomber, elle
s’arrêta. Et alors, se détournant, elle aperçut
encore une fois l’impassible château, avec le
parc, les jardins, les trois cours, et toutes les
fenêtres de la façade.
Elle resta perdue de stupeur, et n’ayant plus
conscience d’elle-même que par le battement de
ses artères, qu’elle croyait entendre s’échapper
comme une assourdissante musique qui
emplissait la campagne. Le sol sous ses pieds
était plus mou qu’une onde, et les sillons lui
parurent d’immenses vagues brunes, qui
déferlaient. Tout ce qu’il y avait dans sa tête de
réminiscences, d’idées, s’échappait à la fois, d’un
638seul bond, comme les mille pièces d’un feu
d’artifice. Elle vit son père, le cabinet de
Lheureux, leur chambre là-bas, un autre paysage :
la folie la prenait, elle eut peur, et parvint à se
ressaisir, d’une manière confuse, il est vrai ; car
elle ne se rappelait point la cause de son horrible
état, c’est-à-dire la question d’argent. Elle ne
souffrait que de son amour, et sentait son âme
l’abandonner par ce souvenir, comme les blessés,
en agonisant, sentent l’existence qui s’en va par
leur plaie qui saigne.
La nuit tombait, des corneilles volaient.
Il lui sembla tout à coup que des globules
couleur de feu éclataient dans l’air comme des
balles fulminantes en s’aplatissant, et tournaient,
tournaient, pour aller se fondre sur la neige, entre
les branches des arbres. Au milieu de chacun
d’eux, la figure de Rodolphe apparaissait. Ils se
multiplièrent, et ils se rapprochaient, la
pénétraient ; tout disparut. Elle reconnut les
lumières des maisons, qui rayonnaient de loin
dans le brouillard.
Alors sa situation, telle qu’un abîme, se
639représenta. Elle haletait à se rompre la poitrine.
Puis, dans un transport d’héroïsme qui la rendait
presque joyeuse, elle descendit la côte en courant,
traversa la planche aux vaches, le sentier, l’allée,
les halles, et arriva devant la boutique du
pharmacien.
Il n’y avait personne. Elle allait entrer ; mais,
au bruit de la sonnette, on pouvait venir ; et, se
glissant par la barrière, retenant son haleine,
tâtant les murs, elle s’avança jusqu’au seuil de la
cuisine, où brûlait une chandelle posée sur le
fourneau. Justin, en manches de chemise,
emportait un plat.
– Ah ! ils dînent. Attendons.
Il revint. Elle frappa contre la vitre. Il sortit.
– La clef ! celle d’en haut, où sont les...
– Comment ?
Et il la regardait, tout étonné par la pâleur de
son visage, qui tranchait en blanc sur le fond noir
de la nuit. Elle lui apparut extraordinairement
belle, et majestueuse comme un fantôme ; sans
comprendre ce qu’elle voulait, il pressentait
640quelque chose de terrible.
Mais elle reprit vivement, à voix basse, d’une
voix douce, dissolvante :
– Je la veux ! donne-la-moi.
Comme la cloison était mince, on entendait le
cliquetis des fourchettes sur les assiettes dans la
salle à manger.
Elle prétendit avoir besoin de tuer les rats qui
l’empêchaient de dormir.
– Il faudrait que j’avertisse Monsieur.
– Non ! reste ! Puis, d’un air indifférent : –
Eh ! ce n’est pas la peine, je lui dirai tantôt.
Allons, éclaire-moi !
Elle entra dans le corridor où s’ouvrait la porte
du laboratoire.
Il y avait contre la muraille une clef étiquetée
capharnaüm.
– Justin ! cria l’apothicaire, qui s’impatientait.
– Montons !
Et il la suivit.
641La clef tourna dans la serrure, et elle alla droit
vers la troisième tablette, tant son souvenir la
guidait bien, saisit le bocal bleu, en arracha le
bouchon, y fourra sa main, et, la retirant pleine
d’une poudre blanche, elle se mit à manger à
même.
– Arrêtez ! s’écria-t-il, en se jetant sur elle.
– Tais-toi ! on viendrait...
Il se désespérait, voulait appeler.
– N’en dis rien, tout retomberait sur ton
maître !
Puis elle s’en retourna subitement apaisée, et
presque dans la sérénité d’un devoir accompli.
Quand Charles, bouleversé par la nouvelle de
la saisie, était rentré à la maison, Emma venait
d’en sortir. Il cria, pleura, s’évanouit, mais elle ne
revint pas. Où pouvait-elle être ? Il envoya
Félicité chez Homais, chez M. Tuvache, chez
Lheureux, au Lion d’or, partout ; et, dans les
intermittences de son angoisse, il voyait sa
considération anéantie, leur fortune perdue,
642l’avenir de Berthe brisé ! Par quelle cause ?... Pas
un mot ! Il attendit jusqu’à six heures du soir.
Enfin, n’y pouvant plus tenir, et imaginant
qu’elle était partie pour Rouen, il alla sur la
grande route, fit une demi-lieue, ne rencontra
personne, attendit encore et s’en revint.
Elle était rentrée.
– Qu’y avait-il ?... Pourquoi ?... Explique-
moi !...
Elle s’assit à son secrétaire, et écrivit une lettre
qu’elle cacheta lentement, ajoutant la date du jour
et l’heure. Puis elle dit d’un ton solennel :
– Tu la liras demain ; d’ici là, je t’en prie, ne
m’adresse pas une seule question !... Non, pas
une !
– Mais...
– Oh ! laisse-moi !
Et elle se coucha, tout du long, sur son lit.
Une saveur âcre qu’elle sentait dans sa bouche
la réveilla. Elle entrevit Charles et referma les
yeux.
643Elle s’épiait curieusement, pour discerner si
elle ne souffrait pas. Mais non ! rien encore. Elle
entendait le battement de la pendule, le bruit du
feu, et Charles, debout près de sa couche, qui
respirait.
– Ah ! c’est bien peu de chose, la mort !
pensait-elle ; je vais m’endormir, et tout sera
fini !
Elle but une gorgée d’eau et se tourna vers la
muraille. Cet affreux goût d’encre continuait.
– J’ai soif ! oh ! j’ai bien soif ! soupira-t-elle.
– Qu’as-tu donc ? dit Charles, qui lui tendait
un verre.
– Ce n’est rien !... Ouvre la fenêtre...
j’étouffe !
Et elle fut prise d’une nausée si soudaine,
qu’elle eut à peine le temps de saisir son
mouchoir sous l’oreiller.
– Enlève-le ! dit-elle vivement, jette-le !
Il la questionna ; elle ne répondit pas. Elle se
tenait immobile, de peur que la moindre émotion
ne la fît vomir. Cependant, elle sentait un froid de
644glace qui lui montait des pieds jusqu’au cœur.
– Ah ! voilà que ça commence ! murmura-t-
elle.
– Que dis-tu ?
Elle roulait sa tête avec un geste doux plein
d’angoisse, et tout en ouvrant continuellement les
mâchoires, comme si elle eût porté sur sa langue
quelque chose de très lourd. À huit heures, les
vomissements reparurent.
Charles observa qu’il y avait au fond de la
cuvette une sorte de gravier blanc, attaché aux
parois de la porcelaine.
– C’est extraordinaire ! c’est singulier ! répéta-
t-il.
Mais elle dit d’une voix forte :
– Non, tu te trompes !
Alors, délicatement et presque en la caressant,
il lui passa la main sur l’estomac. Elle jeta un cri
aigu. Il se recula tout effrayé.
Puis elle se mit à geindre, faiblement d’abord.
Un grand frisson lui secouait les épaules, et elle
645devenait plus pâle que le drap où s’enfonçaient
ses doigts crispés. Son pouls inégal était presque
insensible maintenant.
Des gouttes suintaient sur sa figure bleuâtre,
qui semblait comme figée dans l’exhalaison
d’une vapeur métallique. Ses dents claquaient,
ses yeux agrandis regardaient vaguement autour
d’elle, et à toutes les questions elle ne répondait
qu’en hochant la tête ; même elle sourit deux ou
trois fois. Peu à peu, ses gémissements furent
plus forts. Un hurlement sourd lui échappa ; elle
prétendit qu’elle allait mieux et qu’elle se lèverait
tout à l’heure. Mais les convulsions la saisirent ;
elle s’écria :
– Ah ! c’est atroce, mon Dieu !
Il se jeta à genoux contre son lit.
– Parle ! qu’as-tu mangé ? Réponds, au nom
du ciel !
Et il la regardait avec des yeux d’une
tendresse comme elle n’en avait jamais vu.
– Eh bien ! là..., là !... dit-elle d’une voix
défaillante.
646Il bondit au secrétaire, brisa le cachet et lut
tout haut : Qu’on n’accuse personne... Il s’arrêta,
se passa la main sur les yeux, et relut encore.
– Comment ! Au secours ! à moi !
Et il ne pouvait que répéter ce mot :
« Empoisonnée ! empoisonnée ! » Félicité courut
chez Homais, qui l’exclama sur la Place ;
madame Lefrançois l’entendit au Lion d’or ;
quelques-uns se levèrent pour l’apprendre à leurs
voisins, et toute la nuit le village fut en éveil.
Éperdu, balbutiant, près de tomber, Charles
tournait dans la chambre. Il se heurtait aux
meubles, s’arrachait les cheveux, et jamais le
pharmacien n’avait cru qu’il pût y avoir de si
épouvantable spectacle.
Il revint chez lui pour écrire à M. Canivet et au
docteur Larivière. Il perdait la tête ; il fit plus de
quinze brouillons. Hippolyte partit à Neufchâtel,
et Justin talonna si fort le cheval de Bovary, qu’il
le laissa dans la côte du bois Guillaume, fourbu et
aux trois quarts crevé.
Charles voulut feuilleter son dictionnaire de
647médecine ; il n’y voyait pas, les lignes dansaient.
– Du calme ! dit l’apothicaire. Il s’agit
seulement d’administrer quelque puissant
antidote. Quel est le poison ?
Charles montra la lettre. C’était de l’arsenic.
– Eh bien ! reprit Homais, il faudrait en faire
l’analyse.
Car il savait qu’il faut, dans tous les
empoisonnements, faire une analyse ; et l’autre,
qui ne comprenait pas, répondit :
– Ah ! faites ! faites ! sauvez-la...
Puis, revenu près d’elle, il s’affaissa par terre
sur le tapis, et il restait la tête appuyée contre le
bord de sa couche, à sangloter.
– Ne pleure pas ! lui dit-elle. Bientôt je ne te
tourmenterai plus !
– Pourquoi ? Qui t’a forcée ?
Elle répliqua :
– Il le fallait, mon ami.
– N’étais-tu pas heureuse ? Est-ce ma faute ?
J’ai fait tout ce que j’ai pu, pourtant !
648– Oui... c’est vrai... tu es bon, toi !
Et elle lui passait la main dans les cheveux,
lentement. La douceur de cette sensation
surchargeait sa tristesse ; il sentait tout son être
s’écrouler de désespoir à l’idée qu’il fallait la
perdre, quand, au contraire, elle avouait pour lui
plus d’amour que jamais ; et il ne trouvait rien ; il
ne savait pas, il n’osait, l’urgence d’une
résolution immédiate achevant de le bouleverser.
Elle en avait fini, songeait-elle, avec toutes les
trahisons, les bassesses et les innombrables
convoitises qui la torturaient. Elle ne haïssait
personne, maintenant ; une confusion de
crépuscule s’abattait en sa pensée, et de tous les
bruits de la terre Emma n’entendait plus que
l’intermittente lamentation de ce pauvre cœur,
douce et indistincte, comme le dernier écho d’une
symphonie qui s’éloigne.
– Amenez-moi la petite, dit-elle en se
soulevant du coude.
– Tu n’es pas plus mal, n’est-ce pas ?
demanda Charles.
649– Non ! non !
L’enfant arriva sur le bras de sa bonne, dans sa
longue chemise de nuit, d’où sortaient ses pieds
nus, sérieuse et presque rêvant encore. Elle
considérait avec étonnement la chambre tout en
désordre, et clignait des yeux, éblouie par les
flambeaux qui brûlaient sur les meubles. Ils lui
rappelaient sans doute les matins du jour de l’an
ou de la mi-carême, quand, ainsi réveillée de
bonne heure à la clarté des bougies, elle venait
dans le lit de sa mère pour y recevoir ses
étrennes, car elle se mit à dire :
– Où est-ce donc, maman ? Et comme tout le
monde se taisait : Mais je ne vois pas mon petit
soulier !
Félicité la penchait vers le lit, tandis qu’elle
regardait toujours du côté de la cheminée.
– Est-ce nourrice qui l’aurait pris ? demanda-t-
elle.
Et, à ce nom, qui la reportait dans le souvenir
de ses adultères et de ses calamités, madame
Bovary détourna sa tête, comme au dégoût d’un
650autre poison plus fort qui lui remontait à la
bouche. Berthe, cependant, restait posée sur le lit.
– Oh ! comme tu as de grands yeux, maman !
comme tu es pâle ! comme tu sues ! Sa mère la
regardait. – J’ai peur ! dit la petite en se reculant.
Emma prit sa main pour la baiser ; mais elle se
débattait.
– Assez ! qu’on l’emmène ! s’écria Charles,
qui sanglotait dans l’alcôve.
Puis les symptômes s’arrêtèrent un moment ;
elle paraissait moins agitée ; et, à chaque parole
insignifiante, à chaque souffle de sa poitrine un
peu plus calme, il reprenait espoir. Enfin, lorsque
Canivet entra, il se jeta dans ses bras en pleurant.
– Ah ! c’est vous ! merci ! vous êtes bon !
Mais tout va mieux. Tenez, regardez-la...
Le confrère ne fut nullement de cette opinion,
et, n’y allant pas, comme il le disait lui-même,
par quatre chemins, il prescrivit de l’émétique,
afin de dégager complètement l’estomac.
Elle ne tarda pas à vomir du sang. Ses lèvres
se serrèrent davantage. Elle avait les membres
651crispés, le corps couvert de taches brunes, et son
pouls glissait sous les doigts comme un fil tendu,
comme une corde de harpe près de se rompre.
Puis elle se mettait à crier, horriblement. Elle
maudissait le poison, l’invectivait, le suppliait de
se hâter, et repoussait de ses bras raidis tout ce
que Charles, plus agonisant qu’elle, s’efforçait de
lui faire boire. Il était debout, son mouchoir sur
les lèvres, râlant, pleurant, et suffoqué par des
sanglots qui le secouaient jusqu’aux talons ;
Félicité courait çà et là dans la chambre ; Homais,
immobile, poussait de gros soupirs, et M.
Canivet, gardant toujours son aplomb,
commençait néanmoins à se sentir troublé.
– Diable !... cependant... elle est purgée, et, du
moment que la cause cesse...
– L’effet doit cesser, dit Homais ; c’est
évident.
– Mais sauvez-la ! exclamait Bovary.
Aussi, sans écouter le pharmacien qui
hasardait encore cette hypothèse : « C’est peut-
être un paroxysme salutaire », Canivet allait
652administrer de la thériaque, lorsqu’on entendit le
claquement d’un fouet ; toutes les vitres
frémirent, et, une berline de poste qu’enlevaient à
plein poitrail trois chevaux crottés jusqu’aux
oreilles, débusqua d’un bond au coin des halles.
C’était le docteur Larivière.
L’apparition d’un dieu n’eût pas causé plus
d’émoi. Bovary leva les mains, Canivet s’arrêta
court, et Homais retira son bonnet grec bien avant
que le docteur fût entré.
Il appartenait à la grande école chirurgicale
sortie du tablier de Bichat, à cette génération,
maintenant disparue, de praticiens philosophes
qui, chérissant leur art d’un amour fanatique,
l’exerçaient avec exaltation et sagacité ! Tout
tremblait dans son hôpital quand il se mettait en
colère, et ses élèves le vénéraient si bien, qu’ils
s’efforçaient, à peine établis, de l’imiter le plus
possible ; de sorte que l’on retrouvait sur eux, par
les villes d’alentour, sa longue douillette de
mérinos et son large habit noir, dont les
parements déboutonnés couvraient un peu ses
mains charnues, – de fort belles mains, et qui
653n’avaient jamais de gants, comme pour être plus
promptes à plonger dans les misères. Dédaigneux
des croix, des titres et des académies, hospitalier,
libéral, paternel avec les pauvres et pratiquant la
vertu sans y croire, il eût presque passé pour un
saint si la finesse de son esprit ne l’eût fait
craindre comme un démon. Son regard, plus
tranchant que ses bistouris, vous descendait droit
dans l’âme et désarticulait tout mensonge à
travers les allégations et les pudeurs. – Et il allait
ainsi, plein de cette majesté débonnaire que
donnent la conscience d’un grand talent, de la
fortune, et quarante ans d’une existence
laborieuse et irréprochable.
Il fronça les sourcils dès la porte, en
apercevant la face cadavéreuse d’Emma, étendue
sur le dos, la bouche ouverte. Puis, tout en ayant
l’air d’écouter Canivet, il se passait l’index sous
les narines et répétait :
« C’est bien, c’est bien. » Mais il fit un geste
lent des épaules. Bovary l’observa : ils se
regardèrent ; et cet homme, si habitué pourtant à
l’aspect des douleurs, ne put retenir une larme,
654qui tomba sur son jabot.
Il voulut emmener Canivet dans la pièce
voisine. Charles le suivit.
– Elle est bien mal, n’est-ce pas ? Si l’on
posait des sinapismes ? je ne sais quoi ! Trouvez
donc quelque chose, vous qui en avez tant sauvé !
Charles lui entourait le corps de ses deux bras, et
il le contemplait d’une manière effarée,
suppliante, à demi pâmé contre sa poitrine.
– Allons, mon pauvre garçon, du courage ! Il
n’y a plus rien à faire. Et le docteur Larivière se
détourna.
– Vous partez ?
– Je vais revenir.
Il sortit, comme pour donner un ordre au
postillon, avec le sieur Canivet, qui ne se souciait
pas non plus de voir Emma mourir entre ses
mains.
Le pharmacien les rejoignit sur la Place. Il ne
pouvait, par tempérament, se séparer des gens
célèbres. Aussi conjura-t-il M. Larivière de lui
faire cet insigne honneur d’accepter à déjeuner.
655On envoya bien vite prendre des pigeons au
Lion d’or, tout ce qu’il y avait de côtelettes à la
boucherie, de la crème chez Tuvache, des œufs
chez Lestiboudois, et l’apothicaire aidait lui-
même aux préparatifs, tandis que madame
Homais disait, en tirant les cordons de sa
camisole :
– Vous ferez excuse, monsieur, car dans notre
malheureux pays, du moment qu’on n’est pas
prévenu la veille...
– Les verres à pattes ! ! ! souffla Homais.
– Au moins, si nous étions à la ville, nous
aurions la ressource des pieds farcis.
– Tais-toi !... À table, docteur !
Il jugea bon, après les premiers morceaux, de
fournir quelques détails sur la catastrophe :
– Nous avons eu d’abord un sentiment de
siccité au pharynx, puis des douleurs intolérables
à l’épigastre, superpurgation, coma.
– Comment s’est-elle donc empoisonnée ?
– Je l’ignore, docteur, et même je ne sais pas
trop où elle a pu se procurer cet acide arsénieux.
656Justin, qui apportait alors une pile d’assiettes,
fut saisi d’un tremblement.
– Qu’as-tu ? dit le pharmacien, et le jeune
homme, à cette question, laissa tout tomber par
terre, avec un grand fracas.
– Imbécile ! s’écria Homais, maladroit !
lourdaud ! fichu âne ! Mais, soudain, se
maîtrisant : – J’ai voulu, docteur, tenter une
analyse, et primo, j’ai délicatement introduit dans
un tube...
– Il aurait mieux valu, dit le chirurgien, lui
introduire vos doigts dans la gorge.
Son confrère se taisait, ayant tout à l’heure
reçu confidentiellement une forte semonce à
propos de son émétique, de sorte que ce bon
Canivet, si arrogant et verbeux lors du pied-bot,
était très modeste aujourd’hui ; il souriait sans
discontinuer, d’une manière approbative.
Homais s’épanouissait dans son orgueil
d’amphitryon, et l’affligeante idée de Bovary
contribuait vaguement à son plaisir, par un retour
égoïste qu’il faisait sur lui-même. Puis la
657présence du docteur le transportait. Il étalait son
érudition, il citait pêle-mêle les cantharides,
l’upas, le mancenillier, la vipère. – « Et même
j’ai lu que différentes personnes s’étaient
trouvées intoxiquées, docteur, et comme
foudroyées par des boudins qui avaient subi une
trop véhémente fumigation ! Du moins, c’était
dans un fort beau rapport, composé par une de
nos sommités pharmaceutiques, un de nos
maîtres, l’illustre Cadet de Gassicourt ! »
Madame Homais réapparut, portant une de ces
vacillantes machines que l’on chauffe avec de
l’esprit-de-vin ; car Homais tenait à faire son café
sur la table, l’ayant d’ailleurs torréfié lui-même,
porphyrisé lui-même, mixtionné lui-même.
– Saccharum, docteur, dit-il en offrant du
sucre. Puis il fit descendre tous ses enfants,
curieux d’avoir l’avis du chirurgien sur leur
constitution.
Enfin, M. Larivière allait partir, quand
madame Homais lui demanda une consultation
pour son mari. Il s’épaississait le sang à
s’endormir chaque soir après le dîner.
658– Oh ! ce n’est pas le sens qui le gêne ; et,
souriant un peu de ce calembour inaperçu, le
docteur ouvrit la porte. Mais la pharmacie
regorgeait de monde ; et il eut grand’peine à
pouvoir se débarrasser du sieur Tuvache, qui
redoutait pour son épouse une fluxion de poitrine,
parce qu’elle avait coutume de cracher dans les
cendres ; puis de M. Binet, qui éprouvait parfois
des fringales, et de madame Caron, qui avait des
picotements ; de Lheureux, qui avait des
vertiges ; de Lestiboudois, qui avait un
rhumatisme ; de madame Lefrançois, qui avait
des aigreurs. Enfin les trois chevaux détalèrent, et
l’on trouva généralement qu’il n’avait point
montré de complaisance.
Mais l’attention publique fut distraite par
l’apparition de M. Bournisien, qui passait sous
les halles avec les saintes huiles.
Homais, comme il le devait à ses principes,
compara les prêtres à des corbeaux qu’attire
l’odeur des morts ; la vue d’un ecclésiastique lui
était personnellement désagréable, car la soutane
le faisait rêver au linceul, et il exécrait l’une un
659peu par épouvante de l’autre.
Néanmoins, ne reculant pas devant ce qu’il
appelait sa mission, il retourna chez Bovary en
compagnie de Canivet, que M. Larivière, avant
de partir, avait engagé fortement à cette
démarche ; et même, sans les représentations de
sa femme, il eût emmené avec lui ses deux fils,
afin de les accoutumer aux fortes circonstances,
pour que ce fût une leçon, un exemple, un tableau
solennel qui leur restât plus tard dans la tête.
La chambre, quand ils entrèrent, était toute
pleine d’une solennité lugubre. Il y avait sur la
table à ouvrage, recouverte d’une serviette
blanche, cinq ou six petites boules de coton dans
un plat d’argent, près d’un gros crucifix, entre
deux chandeliers qui brûlaient. Emma, le menton
contre sa poitrine, ouvrait démesurément les
paupières ; et ses pauvres mains se traînaient sur
les draps, avec ce geste hideux et doux des
agonisants qui semblent vouloir déjà se recouvrir
du suaire. Pâle comme une statue, et les yeux
rouges comme des charbons, Charles, sans
pleurer, se tenait en face d’elle, au pied du lit,
660tandis que le prêtre, appuyé sur un genou,
marmottait des paroles basses.
Elle tourna sa figure lentement, et parut saisie
de joie à voir tout à coup l’étole violette, sans
doute retrouvant au milieu d’un apaisement
extraordinaire la volupté perdue de ses premiers
élancements mystiques, avec des visions de
béatitude éternelle qui commençaient.
Le prêtre se releva pour prendre le crucifix ;
alors elle allongea le cou comme quelqu’un qui a
soif, et, collant ses lèvres sur le corps de
l’Homme-Dieu, elle y déposa de toute sa force
expirante le plus grand baiser d’amour qu’elle eût
jamais donné. Ensuite il récita le Misereatur et
l’Indulgentiam, trempa son pouce droit dans
l’huile et commença les onctions : d’abord sur les
yeux, qui avaient tant convoité toutes les
somptuosités terrestres ; puis sur les narines,
friandes de brises tièdes et de senteurs
amoureuses ; puis sur la bouche, qui s’était
ouverte pour le mensonge, qui avait gémi
d’orgueil et crié dans la luxure ; puis sur les
mains, qui se délectaient aux contacts suaves, et
661enfin sur la plante des pieds, si rapides autrefois
quand elle courait à l’assouvissance de ses désirs,
et qui maintenant ne marcheraient plus.
Le curé s’essuya les doigts, jeta dans le feu les
brins de coton trempés d’huile, et revint s’asseoir
près de la moribonde pour lui dire qu’elle devait
à présent joindre ses souffrances à celles de
Jésus-Christ et s’abandonner à la miséricorde
divine.
En finissant ses exhortations, il essaya de lui
mettre dans la main un cierge bénit, symbole des
gloires célestes dont elle allait tout à l’heure être
environnée. Emma, trop faible, ne put fermer les
doigts, et le cierge, sans M. Bournisien, serait
tombé à terre.
Cependant elle n’était plus aussi pâle, et son
visage avait une expression de sérénité, comme si
le sacrement l’eût guérie.
Le prêtre ne manqua point d’en faire
l’observation ; il expliqua même à Bovary que le
Seigneur, quelquefois, prolongeait l’existence des
personnes lorsqu’il le jugeait convenable pour
leur salut ; et Charles se rappela un jour où, ainsi
662près de mourir, elle avait reçu la communion. Il
ne fallait peut-être pas se désespérer, pensa-t-il.
En effet, elle regarda tout autour d’elle,
lentement, comme quelqu’un qui se réveille d’un
songe ; puis, d’une voix distincte, elle demanda
son miroir, et elle resta penchée dessus quelque
temps, jusqu’au moment où de grosses larmes lui
découlèrent des yeux. Alors elle se renversa la
tête en poussant un soupir et retomba sur
l’oreiller.
Sa poitrine aussitôt se mit à haleter
rapidement. La langue tout entière lui sortit hors
de la bouche ; ses yeux, en roulant, pâlissaient
comme deux globes de lampe qui s’éteignent, à la
croire déjà morte, sans l’effrayante accélération
de ses côtes, secouées par un souffle furieux,
comme si l’âme eût fait des bonds pour se
détacher. Félicité s’agenouilla devant le crucifix,
et le pharmacien lui-même fléchit un peu les
jarrets, tandis que M. Canivet regardait
vaguement sur la Place. Bournisien s’était remis
en prière, la figure inclinée contre le bord de la
couche, avec sa longue soutane noire qui traînait
663derrière lui dans l’appartement. Charles était de
l’autre côté, à genoux, les bras étendus vers
Emma. Il avait pris ses mains et il les serrait,
tressaillant à chaque battement de son cœur,
comme au contrecoup d’une ruine qui tombe. À
mesure que le râle devenait plus fort,
l’ecclésiastique précipitait ses oraisons ; elles se
mêlaient aux sanglots étouffés de Bovary, et
quelquefois tout semblait disparaître dans le
sourd murmure des syllabes latines, qui tintaient
comme un glas de cloche.
Tout à coup, on entendit sur le trottoir un bruit
de gros sabots, avec le frôlement d’un bâton ; et
une voix s’éleva, une voix rauque, qui chantait :
Souvent la chaleur d’un beau jour
Fait rêver fillette à l’amour.
Emma se releva comme un cadavre que l’on
galvanise, les cheveux dénoués, la prunelle fixe,
béante.
664Pour amasser diligemment
Les épis que la faux moissonne,
Ma Nanette va s’inclinant
Vers le sillon qui nous les donne.
– L’aveugle s’écria-t-elle.
Et Emma se mit à rire, d’un rire atroce,
frénétique, désespéré, croyant voir la face hideuse
du misérable, qui se dressait dans les ténèbres
éternelles comme un épouvantement.
Il souffla bien fort ce jour-là,
Et le jupon court s’envola !
Une convulsion la rabattit sur le matelas. Tous
s’approchèrent. Elle n’existait plus.